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Iredey Blog Emergence

Une certaine idée de la démocratie béninoise

5 Mai 2019 , Rédigé par Professeur COSSI BIO OSE

Par Prof. Cossi Bio Ossè

Aux yeux du monde extérieur – et d’une manière délibérément aveugle  – à ses propres yeux,  le Bénin entretient l’image d’un pays doté d’une bonne volonté démocratique. Deux raisons entretiennent ce consensus douteux. La première, la conférence nationale dont nous nous glorifions du copyright africain.  La deuxième raison, conséquence de la première, c’est le petit quart de siècle qu’a duré le Renouveau Démocratique. Pendant cette période, nous avons connu trois Présidents de la République différents, deux réélections de Président, cinq élections présidentielles et autant d’élections législatives.

De législature en mandature, peu à peu le spectre du coup d’Etat dont nous étions jadis champions s’est  estompé. Le fonctionnement démocratique a pris le relai. Mais très vite, et dans la réalité, l’esprit de la démocratie a déserté le Forum, en n’en laissant que la forme pour ne pas dire la coquille vide. C’est comme si excédé des agissements des humains, un danseur egun-gun, sorti de son par-dessus bariolé disparaît en ne laissant que ses oripeaux. Avec une habileté consommée de prestidigitateurs, et au moyen de ficelles et de bâtons, quelques-uns de ses adeptes initiés s’évertuent à entretenir l’illusion de sa présence sur scène alors qu’en réalité l’esprit est retourné déjà aux pays des ancêtres.

Pendant les quinze dernières années du Renouveau Démocratique, on doit à la vérité de dire qu’en dépit de tout ce qu’on raconte complaisamment sur la Démocratie béninoise, les choses se sont en réalité passées comme dans le cas de l’egun-gun disparu : nous avons entretenu la façade au détriment de l’esprit. L’Assemblée nationale est un repaire de criminels en cols plus ou moins blancs – un repaire, c’est-à-dire un abri en béton vissé dans le marbre de la constitution. L’impunité est reine. La corruption et le régionalisme sont une seconde nature. Les élections sont de sinistres moments d’un illusionnisme frauduleux. Par exemple, celles de 2001 qui ont reconduit Kérékou étaient une sordide supercherie. En 2011, Yayi Boni imposa une réélection scandaleuse, qui pour la première fois fit sauter le verrou du second tour. Soutenus et nourris par des hommes d’affaires comme Patrice Talon,   l’achat de conscience et de vote, la marchandisation de la vie politique ont envahi les mœurs et les pratiques : ils sont devenus la norme de la technique électorale de base. L’instrumentalisation des institutions de la République a transformé celles-ci en maisons closes au service du pouvoir. Leurs Présidents se font des milliards au vu et au su de tout le monde en exécutant fidèlement la volonté des pouvoirs.

Malgré cette dérive des mœurs et des pratiques cachée derrière le paravent commode de la mise en scène quotidienne des formes institutionnelles, nous avons continué à nous considérer  et à dire au monde extérieur que nous étions une Démocratie, sinon un Modèle et un Laboratoire de la Démocratie africaine. En clair, pour nous, marqués par notre passé d’enfant terrible de l’Afrique, nous restions enfermés dans une approche négative de la Démocratie  conçue comme une absence de coup d’État ; le coup d’État lui-même étant synonyme de putsch militaire.

La crise qui sévit actuellement n’est que le révélateur de cette perversion, ce pourrissement moral de l’intérieur que nous cachons astucieusement à nous-mêmes et au monde extérieur. Et la mentalité politique collective du béninois n’y aide pas ; celle-ci est portée  à une oscillation périodique entre la polarisation/union sacrée contre un bouc émissaire du moment, et le refus du sacrifice tant individuel que collectif. Cette logique périodique qui caractérise le fonctionnement de la vie politique  nationale tend à occulter toute responsabilité dans l’inexorable dérive qui nous emporte vers le chaos.

Dans les grandes  Démocraties du monde, les citoyens s’honorent de citer leurs Pères fondateurs sans rougir. Chez nous, au Bénin, combien de Père fondateurs du Renouveau Démocratique pouvons-nous citer sans rougir, hormis – que Dieu nous l’accorde – Monseigneur Isidore De Souza  ?  Aucun ! Pire encore, qu’ils soient issus des 488 délégués à la conférence nationale ou de ses 52 représentants de sensibilités politiques, ceux que l’imaginaire collectif est induit à retenir sinon tenir pour Pères fondateurs ne sont pas souvent ceux qui se sont véritablement sacrifiés pour l’avènement de la Démocratie. La mémoire des vrais Martyrs, des glorieux combattants contre la dictature est délibérément occultée ; cette occultation est d’autant plus cohérente qu’une belle place est faite à leurs tortionnaires ou assassins.

La logique périodique de l’union sacrée – qui est avant tout une union négative – a tour à tour diabolisé et angélisé chacune des figures principales de la scène politique béninoise des 50 dernières années. Pour ne s’intéresser qu’à la période du Renouveau démocratique, il fut un temps où Kérékou, à cause  de ses assassinats, de ses fraudes électorales, de ses répressions féroces des libertés, et de sa mauvaise gouvernance était considéré comme le diable ; puis, sans autre forme de procès, il passa à la postérité comme un sage homme de paix, un héros de la cohésion nationale qui, entre autres honneurs, donna son nom au plus grand stade de sport du pays.  De même, il fut un temps où avec sa gestion clanique, son obsession dynastique, ses marchandages électoraux occultes, son arrogance, Soglo avait été diabolisé. Puis une fois que ces ennemis – fratricides ou idéologiques – de tout bord eurent atteint  leurs objectifs, est apparue une nouvelle figure de Soglo,  responsable, paternel, épris de sagesse et de dignité. De même aujourd’hui, on voit Yayi Boni jouer les héros résistant à la dictature de son successeur, oubliant ou faisant oublier que lui-même avait en son temps caressé le diable de l’autocratie et ourdi un holdup électoral qui n’a rien à envier ou si peu à celui qu’il combat aujourd’hui avec hargne et bravoure.

Dans ces conditions, le pourrissement intérieur de la Démocratie béninoise, que nous cachons à nous-mêmes et aux autres, réside dans la liberté que chacun d’entre nous – à commencer par les acteurs principaux de la scène politique nationale – nous permettons de prendre vis-à-vis des valeurs. Nos compromissions, qui se suivent et se ressemblent au nom du mythe de la paix.

Ce mythe qui n’est qu’un chantage malicieux à la paix n’est pas sans rappeler une histoire réelle arrivée dans le temps en pays yoruba et qui a fait l’objet d’un film. C’est l’histoire d’un prince vicieux et violent, Olayitan qui, flanqué de ses 12 griots et hommes de sécurité, parcourait le pays. Dès qu’il voyait une fille qui lui sautait aux yeux,  il la désignait, et ses hommes la mobilisaient, on sortait un pagne pour lui servir de paravent, et derrière le paravent ainsi improvisé, il violait la femme en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Pendant ce temps, les griots, rodés  au manège, prêchaient la paix aux parents de la femme victime. « Mais vous n’allez pas faire ça, il va mettre votre famille à feu et à sang ; laissez le faire, ce n’est que du sexe, etc…la paix vaut mieux que la guerre.» Et les choses se passaient ainsi,  jusqu’au moment où, libérés du conditionnement du mythe de la paix, les villageois menèrent une révolte contre les abus de ce prince, qui se solda par sa mort, et le retour de la vrai paix dans la contrée.

Ce récit historique montre que la vraie paix est, au-delà de toute peur, dans la dignité et la justice. Aujourd’hui, au nom d’une paix mythique, ceux qui nous sont implicitement ou explicitement présentés comme des Pères fondateurs, soit ne sont pas des pères ou soit ne sont pas des fondateurs, ou enfin ne sont ni l’un ni l’autre. Tandis que les vrais pères fondateurs sont implicitement ou explicitement laissés dans l’ombre, méprisés, leur mémoire occultée.

Parmi  nos Chefs d’État, nos députés, nos Ministres, nos Préfets, combien n’ont pas directement  le sang d’un de leurs concitoyens sur les mains ? Combien n’ont pas volé l’argent public ? Combien se contentent strictement du salaire gagné à la sueur de leur front? Combien n’ont jamais reçu ou donné de l’argent pour voter dans un sens ou dans l’autre ?

Tant que nous ne comprendrons pas que l’esprit démocratique précède ses formes, la mise en scène malicieuse de celles-ci ne fera que nous précipiter de crise en crise.

Prof. Cossi Bio Ossè

 

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